On change cette fois radicalement de thème, et on parle narration et gamedesign.
Un des trucs qui nous botte, chez JGMNP, c’est d’être emporté dans l’histoire d’un jeu vidéo, de croire aux actions de notre héros, et d’y mettre un peu de nous. Pour renforcer cette implication, beaucoup de jeux proposent des choix dans leurs scénarios. Ces choix sont amenés de différentes manières, et chaque jeu possède sa propre structure de choix. C’est le rapport entre la forme de cette structure de choix et l’implication du joueur que nous allons étudier dans cette émission.
First things first, on commencera par se demander s’il est essentiel qu’une structure de choix soit présente pour le joueur s’implique. On entrera ensuite dans le vif du sujet : dans la plupart des jeux, les choix sont organisés selon une structure en graph. On vous expliquera ce que c’est, comment les designers l’utilisent et quelles limites elle peut avoir. Enfin, on verra comment d’autres structures de choix ont été mises en place, pour aller vers un système de décision plus proche de la réalité.
Nous n’oublierons pas nos collègues et hébergeurs, pour une dernière émission, de Nowatch, la traditionnelle rubrique A quoi vous jouez et le générique de fin. Gros bisous et bonne écoute !
Encore bravo pour ce podcast (et la dédicace à Zbi est sympa au passage). En ce qui concerne le caractère binaire des choix, je pense que c’est dû à la morale judéo-chrétienne qui distingue le Bien et le Mal, si bien que le joueur sera plutôt encouragé à faire le Bien (à terme, sauver les Petites Soeurs dans Bioshock rapporte plus).
Dans les jeux japonais proposant des choix, il y a moins de jugement de valeur (ex. : Catherine où il n’y a pas de « bonne » et de « mauvaise » fin), l’explication vient sans doute de l’influence inexistante du christianisme sur la culture japonaise, et donc l’absence du poids du péché, de la faute
Je pense que cette analyse des choix liés à la morale judéo-chrétienne est vraie, mais faussée par tous ces jeux qui nous laissent soi-disant libre face à notre responsabilité personnelle, et qui nous incitent quand même pas mal au « dark side ». Je pense à la vague de jeux à anti-héros, et dont la communication autour du jeu va dans ce sens (« oui t’as le choix, mais c’est plus cool d’être mauvais »). Je dirais notamment que la comm’ encourage le joueur de Dishonored à plutôt jouer assassin, même si on n’est pas bénéficiaire en le faisant, dans le jeu en lui-même.
Cela dit, même dans un jeu « neutre » (qui n’encourage pas à l’une ou l’autre idéologie) ce n’est pas toujours vrai : dans les InFamous j’ai eu l’impression que jouer le côté rouge était plus profitable que le bleu (?).
Encore une bonne émission où l’on parle aussi musique (ninja…). Je sais bien que le temps passe et tout ne peut être abordé, mais petit regret quant à l’absence des choix des KOTOR: un choix pouvant changer l’alignement (bon/mal) passé de tout une partie, l’histoire est linéaire mais l’implication de ce genre de choix me semble très lourde pour le joueur (qui cette fois-ci, à tout le temps de faire son choix en connaissant les tenants et aboutissants).
D’ailleurs petite question que je me posais après ce podcast: peut on considérer le sauvetage de personnages (dans les « Valkyiria Chronicles » ou les « Fire Emblem » par exemple) et la prise de risque que cela implique comme des choix « moraux » tels que ceux donc vous parlez ou juste du gameplay associé.
Autre chose… M. Medhi, vous ne connaissiez pas le jardin de poney… euh de plantes de Nier?!
J’ai aussi repensé à la musique de Mass Effect en constatant que finalement, je ne me rappelle vraiment que de la musique de la carte spatiale (présente depuis le premier opus je crois) et de celle du final (An End Once And For All)… Suis-je le seul à avoir la mémoire aussi courte ou cette BO est-t-elle un peu « discrète » (sans troll voulu, j’ai adoré et beaucoup joué aux ME).
D’ailleurs, faudra demander à Clint Mansell de changer un peu ses figures de composition… on a assez mangé d’ostinato mélodique et de notes pédales sur Requiem for a Dream (troll… de ninja)
Salut et merci 🙂
Oui je dirais qu’on peut parler de choix moral dans un jeu où les persos peuvent mourir, tels que les T-RPG que tu cites. On est sans cesse responsable de leur « vie » et donc les manœuvres qu’on choisit peuvent porter une valeur morale.
Concernant KOTOR, 2 raisons à cela : on est peu à y avoir joué ici (pas moi du moins), et on a choisi de limiter le nombre de titres abordés 🙂
J’ai tellement souffert pour obtenir la fleur lunaire dans NieR, en plus les soluces n’étaient pas d’accord sur la manière de l’obtenir ! X)
Excellente émission et très bon thème. Le choix dans les jeux vidéo n’est peut-être qu’une illusion. Les pseudos-choix du joueur sont déterminés à l’avance par les développeurs : scénaristiquement, le seul choix possible est la victoire ou la progression. Il est impossible de tous laisser tomber. Même les quêtes annexes des RPG ou jeux d’aventures ne sont qu’une pause entre deux phases du scénario.
Vous avez parfaitement fait la distinction entre choix et liberté de jeu (la liberté dans un open world est toujours limitée par le programme).
Finalement, le seul vrai choix du joueur est celui du jeu auquel il joue. Dans l’immense catalogue des jeux disponibles, le joueur peut choisir son genre de jeu (RPG, FPS, STR…), sa plateforme, sa boîte de développement favorite et son titre.
Enfin, je pense qu’il y a une distinction entre les jeux occidentaux (pour ne pas dire états-uniens) et les jeux japonais. Les open worlds sont plus présent en Occident car la Liberté est une valeur fondamentale qui peut primer sur d’autres valeurs sociales : liberté d’entreprendre, liberté de se défendre, liberté de s’exprimer… (GTA). Au Japon, les termes de liberté ou de choix ne sont pas incompatibles avec des règles préétablies. Le non-manichéisme, notamment dans les RPG (Final Fantasy IX) est intrinsèquement lié au choix. Malgré le développement que choisi le joueur pour ses personnages, l’histoire des héros est déjà écrite.
Salut !
J’ai un exemple rigolo concernant tes premières lignes, et qui fait écho à ton pseudo 😉
Dans Way of the Samurai 4, on commence le jeu en accostant à une ville portuaire. Là, on est directement témoin d’une guerre civile. Et… on peut choisir de faire demi-tour, de décider que ça ne nous concerne pas pour reprendre le bateau vers le large. Fin.
Ok, c’est stupide, mais possible 😉 Après, on peut dire que c’est une forme de « progression » dans une partie du graphe en particulier.
Un sujet très intéressant que voilà et bien traité malgré la complexité. J’ai bien aimé ce questionnement en toile de fond sur le « but » d’un jeu vidéo.
Bien évidemment personne n’ignore que la notion de liberté, ou celle du choix des actions n’est qu’une illusion puisque ça fait partie d’un système informatique défini.
Néanmoins, libre à chacun de faire abstraction de cette « vérité » et de choisir de se laisser emporter par l’expérience du jeu… pour peu que le jeu tienne un minimum ses promesses par le gameplay et le scénario.
Pour ma part j’ai beaucoup accroché à Walking Dead que vous citez à plusieurs reprises d’ailleurs. Sachant pertinemment que ce que mettais en avant le jeu par la liberté de choix était forcément « fausse », j’ai pris le parti de m’en foutre.
Alors j’ai plongé dans l’histoire en me préparant un rôle : sauver / protéger les enfants et tenter d’y rester fidèle jusqu’au bout.
Quand est venu le choix face au gamin infecté, j’ai fait mon choix grâce à mon rôle même si celui-ci pouvait être dramatique et lourd de sens.
Au final je n’ai pas été déçu et j’ai prévu de le refaire une 2ème fois en adoptant une autre ligne de conduite : être le parfait égoïste.
Alors oui certainement que le scénario suivra de près la trame du 1er jet, mais en tant qu’expérience ludique je ne suis pas sûr que l’angle du vécu émotionnel soit le même…
En tout cas, continuez comme ça, vos émissions sont très bien !!
Bruno B
Merci pour ton commentaire 🙂
Effectivement je pense que c’est une bonne façon d’apréhenser the Walking Dead en plongeant dedans sans se poser plus de questions que ça, et il est suffisamment bien écrit pour que l’illusion fonctionne si on ne se pose pas trop de question.
Le fait de le refaire par contre risque de briser le voile et j’espère qu’elle n’entachera pas ta première expérience mais je comprends la démarche car je souhaite toujours faire la même chose sur Mass Effect en faisant que les choix « Pragmatique » et en étant un parfait égoiste vis a vis de la galaxie 🙂
Nan mais t’es pas un vrai fan, Medhi, si à 25min tu hurles pas « NIER !! » ^^
T’y as joué combien de fois ?
Salut.
Je viens d’écouter ce podcast (oui, j’aime parler six mois après que tout le monde a quitté le sujet). Très chouette sujet, et globalement je suis d’accord avec les analyses qui sont faites, qui sont globalement similaires aux miennes. Très content notamment de voir aborder l’importance de l’illusion du choix. Car on a souvent tendance à négliger l’importance de cette illusion, alors qu’elle est capitale (The Walking Dead l’a bien prouvé). Malgré tout, j’ai quelques frustrations, quelques velléités qui me poussent à compléter (de manière très embryonnaire) cette analyse à laquelle il y a pour moi quelques manques. Je précise que je ne connais pas vraiment le podcast (je n’ai écouté que celui sur les ennemis, il y a quelques mois), donc j’ai du mal à retenir les noms. Parfois je désigne tel ou tel commentaire sans pouvoir mettre un nom sur son propriétaire, j’en suis désolé.
Mon premier problème est qu’on n’aborde le thème de choix que sous sa forme narrative, et que je crois qu’il y a une grosse confusion à ce sujet. La présentation, durant l’émission, parle de la forme des choix, mais en fait le sujet est beaucoup plus restreint (ou disons resserré sur une forme bien spécifique du choix). Je pense qu’il y a déjà un postulat erroné, qui veut que le choix de nature narrative soit le seul choix possible. Vous ne faites jamais cette précision, comme s’il était là question d’un prédicat logique que de dire que choix = narration. Mais c’est oublier le choix fondamental du jeu. Quand Fred (je crois), à la fin de l’émission, disait que Medhi (je crois) était hors-sujet en abordant le cas de Killer7, je ne suis pas d’accord : non, il est dans le sujet ! Il aborde le choix en tant que mécanisme de jeu. Aller à droite plutôt qu’à gauche. Vous avez souhaité écarter cette donnée du problème mais on voit ici (et ailleurs dans l’émission) que vous y revenez pourtant régulièrement, ce qui me paraît normal. Quelqu’un a dit que l’émission avait souhaité se concentrer sur la notion de choix en tant qu’élément de game design. Je vois donc difficilement comment on peut affirmer ceci d’un côté, et d’un autre déclarer hors-sujet tout propos qui ne concerne pas le choix en tant qu’objet narratif. Je pense que cet aspect aurait mérité d’être éclairci au début de l’émission, afin qu’on sache clairement à quoi s’attendre. Vous parlez du choix en tant que game-design, mais en fait on est beaucoup plus proche d’un sujet sur le choix de type narratif. Peut-on vraiment dire de ces choix qui sont bien souvent textuels qu’ils sont du game design, et si c’est le cas, quelle est leur place ? Ca aurait été intéressant de développer ça, et je pense qu’il est dommage de ne pas spécifier la notion de choix narratif, de ne pas la définir, et de ne pas l’isoler du choix pur que proposent tous les jeux vidéo. Pour moi on flirte douloureusement avec une erreur récurrente qui tend à dénier le choix en tant qu’élément constitutif du jeu, et qui révèle à quel point on considère l’interactivité comme acquise (pour la raison assez évidente que sans interactions, le jeu n’est plus jeu), au point d’en oublier qu’il s’agit là également d’une forme de choix que partagent tous les jeux vidéo. Du coup, on a tendance à si vite l’oublier que je pense important d’en parler, car c’est un axe de réflexion peut-être moins vu et revu que le choix narratif, qui est évidemment à la mode aujourd’hui. A défaut d’en faire un véritable axe de réflexion (puisqu’il n’en est pas le sujet ici), je pense qu’il faut au moins faire cette précision préambulaire, qui est que tout jeu est fondamentalement libre, et donc pourvu de choix, parce que sinon le jeu n’est plus jeu, il n’est plus que produit visuel.
Par ailleurs, je pense, bien qu’ayant conscience qu’il s’agit d’un choix de votre part, qu’écarter complètement cet aspect là est dangereux pour la suite de la réflexion car on casse à mon avis la continuité discursive nécessaire à des analyses de ce genre. Euh, je vais expliquer un peu mon charabia. Peu après la présentation du sujet et de ce qu’est le choix, celui qui explique ce qu’est le choix ajoute, et cette réflexion sera réitérée plus tard, que le choix est bien souvent d’ordre moral. Or je pense que ce n’est pas tout à fait le cas, et qu’en définissant dans un premier temps la notion de choix, de manière générale, dans le jeu vidéo, on le percevrait mieux. Beaucoup des choix qui sont proposés au joueur sont des choix de gameplay. Quand un joueur choisit de prendre à droite plutôt qu’à gauche, de jouer infiltration plutôt que de manière frontale, il s’agit là de choix de gameplay (et qui parfois influencent la narration) qui ne relèvent pas de choix moraux. Quand un RPG propose de composer une équipe de personnages « de terrain » à choisir parmi un éventail plus vaste que ce que permet le jeu en restreignant les membres du groupe, on a aussi une forme de choix qui n’est pas morale, sans être pour autant un choix de gameplay pur. C’est un choix d’affinités. Eventuellement, la morale peut entrer en jeu si le joueur choisit de s’entourer du pyromane fou plutôt que du succube vertueux (si si), mais à l’origine c’est un choix qui relève plus des affinités avec le personnage ou des besoins en terme ludiques (classes). Il en va de même du choix de rejoindre ou non une faction, qui est fréquent dans les RPG occidentaux. C’est un choix qui n’est pas nécessairement moral (même s’il l’est parfois). Bref, le jeu est repu, boursouflé de choix non moraux. C’est juste qu’on a tendance à oublier que certains choix en sont ! Mais quand vient l’heure de prendre des choix affectant l’histoire, on veut prendre des choix significatifs, qui font sens, qui nous impliquent. C’est donc en toute logique que les choix d’ordre intellectuels et moraux sont plus mis en avant par l’histoire. Les autres choix existent, mais ne sont pas forcément mis aussi en avant par le scénario, et c’est normal.
Autre problème que j’ai à exclure le gameplay du débat, c’est que ça revient à nier toutes les formes de narration et de choix narratifs par le gameplay. Pourtant, vous en parlez bien avec les très bons exemples de Dishonored et Metal Gear Solid 3 (scène dont le concept narratif m’avait marqué à l’époque). Et vous auriez tort de ne pas le faire, ça fait partie du débat. Mais du coup je trouve (encore) que le choix en tant qu’élément constitutif du jeu n’est pas du tout abordé et que ça aurait été plus intéressant d’en parler un minimum, histoire de mettre en relation ce que vous dites dans cette partie là avec la porosité (ou non) qu’on peut trouver dans ces deux formes de choix dans le jeu vidéo. Et quand vous abordez le choix par le gameplay, sans avoir au préalable définit le choix en tant qu’élément de jeu, on survole un peu les thèmes je trouve. Sinon, dans ce type de narration par le choix, je ne peux pas ne pas parler de Silent Hill 2, qui a aussi été brillant en son temps en ce qui concerne la lettre défunte de sa femme. Pour rappel, le héros va à Silent Hill car il reçoit avant le début du jeu une lettre de sa femme l’invitant à venir la retrouver là-bas. Le problème étant que sa femme est décédée. Donc on explore Silent Hill, et pendant tout le jeu on se trimbale dans l’inventaire la lettre ainsi qu’une photo de Mary (l’épouse défunte, donc). Or si le joueur allait consulter régulièrement la lettre et/ou la photo durant la partie, le jeu traduisait ça comme l’attachement du héros à sa femme disparue et ouvrait la fin où le couple se retrouvait dans un « happy ending » (les guillemets sont de rigueur étant donné la fin en question, mais c’est ce qui se rapproche le plus d’une fin heureuse). En gros le jeu traduit une manipulation du joueur en décision émotionnelle. Très fort (Shattered Memories est dans cette veine là également, même si le mécanisme est légèrement différent). Mais qui soulève malgré tout l’une des limites du choix, à savoir la capacité qu’a le jeu à bien interpréter un choix du joueur.
Je trouve que c’est une limite dont vous ne parlez pas et qui est intéressante. Quand je choisis d’épargner la vie d’un individu plutôt que de la lui prendre, le jeu a souvent une « idée préconçue » de la raison pour laquelle j’ai fait ce choix. Et il arrive que cette raison ne soit pas la mienne. C’est un exemple d’échec du choix, parce que le jeu a su faire oublier ses limites en me posant un choix mais n’a pas su/pu anticiper les raisons de ce choix. Certains jeux comme Planescape Torment, où les idéologies et les philosophies ont une importance très forte, mettent en place des arbres de dialogues très touffus avec quatre, cinq, six choix de dialogues qui tiennent parfois plus du paragraphe velu que de la monoligne simpliste qu’on est habitué à voir (voire les mots-clés, depuis l’avènement de la roue de dialogue à la Mass Effect), ceci afin d’essayer d’anticiper toutes les idées du joueur. C’est un effort que peu de jeux font, car les choix sont souvent perçus de manière binaire par les développeurs eux-mêmes. Ce problème est à ranger dans la partie « limites du choix dans la narration ».
Concernant le bien fondé du choix et sa nécessité, remise en cause en début d’émission, je suis assez d’accord avec la conclusion qui est que cela est vraiment à voir au cas par cas, mais que globalement une histoire linéaire où le joueur n’est que spectateur présente des avantages. Ne pas choisir revient à donner la main aux développeurs, qui sont alors libre de magnifier leur histoire puisqu’ils en sont totalement maîtres. Une entière maîtrise des scènes, du rythme, de la narration, permet aux développeurs de créer l’histoire la plus prenante possible. Quand j’ai la possibilité, plutôt que de voler à la prochaine séquence de l’histoire qui est considérée comme urgente (sauver le monde d’un démon qui vient de se réveiller par exemple), d’aller vaquer pendant dix heures à des quêtes annexes inutiles, puis d’aller me saouler et de me rendre en titubant à la scène suivante, qui aura la décence de ne pas me rappeler mes errances et de faire comme si je m’étais précipité courageusement au secours de la veuve et l’orphelin, quand j’ai cette possibilité donc, il est difficile de nier que la liberté nuit à la narration et casse complètement l’immersion, vu qu’on a la possibilité de faire un peu n’importe quoi entre deux phases obligées du scénario. Je trouve du coup très étonnant de vanter cette possibilité dans Suikoden et de qualifier toutes les tâches annexes de vecteurs d’immersion. Pour moi, l’immersion de Suikoden, c’est la guerre, c’est la rébellion, c’est Luca Blight, c’est une amitié déchirée par des manœuvres politiques. C’est en aucun cas les tâches annexes, qui ne sont pour moi que du remplissage ludique (ce qui est très bien d’ailleurs, ce n’est pas péjoratif !). Un choix intéressant de Suikoden 2 d’ailleurs consistait en l’abandon pur et simple de la quête principale. Cette fin où on finit par se retrancher, avec Nanami, dans une petite bicoque au milieu de nulle part pour couler des jours paisibles, loin des affres de la guerre. C’est un game over mais qui a pris la peine de se farder un peu. J’avais trouvé ça intéressant (ainsi que l’idée du héros qui abandonne sa quête, idée de faiblesse des héros que j’aimerais voir plus souvent exploitée).
Un corollaire gênant à cette situation où la liberté parasite la narration, est le jeu où on nous laisse libre d’agir selon notre convenance dans les quêtes secondaires mais où la quête principale nous force à sauver le monde. Bethesda a souvent ce genre de problèmes (d’ailleurs la liberté de Bethesda n’est pas du tout narrative, au passage). Bioware également, dans une moindre mesure. Là aussi, l’immersion de la liberté de choix est brisée par une dissonance assez fatale entre ce que le scénario veut et ce que le jeu offre à faire.
La question qui se pose est alors de savoir si une histoire est meilleure quand on est acteur ou quand on est spectateur. Vaut-il mieux avoir le choix, au risque de rater telle ou telle scène marquante, au risque de ruiner la cohérence et la cadence, ou bien vaut-il mieux se laisser guider, bercer par la vision de l’auteur (ici, des auteurs) ? Et quid de l’implication ? Suis-je vraiment plus impliqué quand j’oriente l’histoire selon mon bon vouloir ? Je pense que ça dépend essentiellement des sensibilités de chacun, et surtout que ça n’est pas contradictoire. On aime varier les plaisirs. C’est une réponse très consensuelle, mais je vois difficilement comment on pourrait mieux résumer la chose. Certains joueurs souhaitent qu’on leur raconte une histoire, et non la construire, tandis que d’autres veulent mener la danse, et d’autres encore savent apprécier les deux. Sur ce point, nous sommes d’accord. Je trouve que l’énorme avantage de jeux comme The Witcher, Alpha Protocol (vous n’en parlez pas, mais je ne lui connais pas de rival dans le domaine du choix) ou encore Mass Effect (dans une moindre mesure), et ce qui fait qu’ils marchent si bien (enfin, sauf Alpha Protocol, las), c’est qu’ils arrivent à concilier les deux.
Dernier point, j’ai sur le sujet développé une idée d’effet Doppleganger (aucun rapport avec Freud, je ne mange pas de ça moi). Dans la première partie est touchée du doigt une problématique très souvent oubliée et qui à mon avis aurait vraiment valu le détour, c’est la dichotomie parfois assez prononcée qui existe entre le choix de roleplay et le choix d’identification (je reprends votre propre terminologie), et sur les rapports conflictuels qu’entretiennent ces deux formes de choix. Je m’explique avec deux exemples simples : les deux derniers jeux Telltale, à savoir The Walking Dead et A Wolf Among Us. Si vous prenez The Walking Dead, les choix que vous faites sont des choix qui sont mus uniquement par vos envies personnelles. C’est-à-dire que vous êtes libres de suivre vos codes de valeurs, vos sensibilités et opinions intellectuelles. C’est un choix d’identification, car vous vous projetez dans une coquille et vous lui insufflez vos envies du moment (qu’il s’agisse d’être en accord avec vos propres convictions ou non). Ceci parce que le personnage que vous incarnez (Lee) est un personnage vierge, que vous êtes libres d’incarner comme bon vous semble (dans les limites imposées par le jeu, bien entendu). Maintenant vous prenez la nouvelle production de Telltale, A Wolf Among Us. C’est beaucoup plus délicat, car plutôt que de créer un personnage de toute pièce à ajouter à leur adaptation, Telltale choisit ici de nous faire incarner un personnage déjà existant. Ce personnage a donc déjà une histoire et une personnalité, et pour peu que vous connaissiez le comic, vous êtes donc face à une nouvelle forme de dilemme méta-ludique : choisir de n’en faire qu’à sa tête ou bien faire des choix qui ne sont pas les vôtres mais que vous pensez plus en accord avec la personnalité et la psychologie de votre avatar. C’est un choix de roleplay, car vous n’êtes plus vous, vous êtes l’avatar de jeu. On peut penser qu’il s’agit là d’une problématique mineure ne touchant que les adaptations où l’on incarne des personnages qui se sont déjà construits en dehors du jeu (The Witcher est l’exemple le plus spectaculaire à ce niveau là je pense), mais beaucoup de jeux à tendance narrative proposent des personnages déjà dotés d’une personnalité, d’un passé, d’aspirations et de convictions, ceci en début de partie, et que nous allons devoir guider à travers une série de choix durant le jeu. Récemment, l’adaptation (ratée) de Game of Thrones proposait quelque chose d’assez similaire. Je dirais aussi que Heavy Rain m’a aussi mis dans cette situation très intéressante, car il ne s’agit pas de personnages à la Fallout que le joueur est libre d’interpréter comme bon lui semble. Je trouve que ce dédoublement de personnalité peut parfois être assez troublant quand on prend la peine d’y réfléchir. Quand je n’ai pas le choix, je fais avec, mais dès que la possibilité m’est laissée de respecter les valeurs de mon personnage ou d’y glisser les miennes, c’est tout de suite plus ambigu (Heavy Rain commet d’ailleurs une bourde lamentable sur ce point, que je n’ai pas besoin d’expliquer à ceux qui ont fini le jeu). C’est une problématique intéressante je trouve.
Je termine sur la place qu’on peut donner à des jeux comme The Walking Dead ou Heavy Rain qui sont pour moi un genre émergent et un peu à part (bien que j’y rangerais aussi le genre du jeu textuel). Quelqu’un a dit à un moment qu’un jeu, selon lui, devait être de l’immersion avant d’être de l’interactif. Je ne suis absolument pas d’accord. L’interactif c’est ce qui définit le jeu vidéo. On peut dire ce qu’on veut sur Heavy Rain, mais ce n’est pas un film, loin de là. Et ce qui fait qu’il n’est pas à un film tient à un seul élément, mais fondamental : c’est l’interactivité. Je crois que savoir quoi de l’immersion ou de l’interactivité doit primer dans le jeu dépend essentiellement de ce que le jeu entend élaborer. Dans Super Mario Bros, je ne cherche pas l’immersion, je cherche une forme d’interactivité développée. Dans Heavy Rain, je cherche l’immersion, mais l’immersion que je cherche n’est pas celle du cinéma, et ce qui la rend pour moi propre tient à cette notion d’interactivité. Je dirais plutôt que les enjeux qui s’opposent sont le ludique contre le narratif. Tous deux exploitent l’interactivité à leur manière. Pour moi, Heavy Rain ou The Walking Dead ne sont plus vraiment des jeux, tant le gameplay, le challenge ludique, a perdu de son sens. Ce qui m’intéresse, c’est l’expérience interactive. L’interactivité est en revanche bel et bien indispensable au processus narratif. Mais pas au processus ludique, qui n’est plus un enjeu à ce type d’expériences interactives. Et je dis expérience interactive à défaut de mieux pouvoir nommer cette nouvelle forme de jeux vidéo, qui pour moi n’en sont plus et mériteraient une nouvelle terminologie.
Bon ben voilà, sur ce.